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Une définition enfin claire de l’agilité ?

L’agilité est sur toutes les lèvres. Dans le contexte de transformation digitale qui touche l’ensemble de nos activités, elle est présentée comme le sésame sans lequel les entreprises sont condamnées à s’éteindre rapidement. Mais à suivre le sens de ce mot-raccourci, on s’aperçoit vite qu’on avance en plein brouillard : l’agilité semble floue. Est-il possible de clarifier ce mot ? Le document originel dans lequel il plonge ses racines est sans doute la clé.

agilité

Le terme agile est aujourd’hui devenu générique : il semble pouvoir s’appliquer à tous et à tout, il a acquis cette extraordinaire faculté de pouvoir pratiquement tout signifier… et donc parfois… plus rien ! On peut, au choix, cacher sous le mot une absence flagrante d’organisation ou une exigence démesurée de flexibilité. On peut l’utiliser pour stigmatiser tant un management contraignant qu’un salarié têtu : ‘sois donc un peu agile !’. Et puis, si on observe au quotidien ses incarnations dans les services informatiques, son éventuel emploi dans le reste de l’entreprise laisse songeur.

En l’absence d’une définition que l’on puisse appréhender, nous usons donc allègrement de la notion en lieu et place d’une de celles qui nous semblent proches : souplesse, nonchalance, liberté, désordre créatif… faîtes votre marché. Cette opacité nuit au développement des entreprises en les empêchant de percevoir l’essentiel.

Qu’en dit le Dictionnaire ?

A l’article ‘agilité’, les dictionnaires font référence à une aisance et/ou à une rapidité de mouvement physique ou mental. Ils sous-entendent souvent un contexte difficile : mouvant, périlleux, ou complexe. Certains d’entre eux vont jusqu’à relier les adjectifs ‘agile’ et ‘adaptatif’ – dont le Larousse donne la définition suivante : “se dit de tout ce qui contribue à l’adaptation d’un organisme à son milieu”.

Si ce nuage de sens évoque plutôt bien l’idée que l’on se fait en général de l’agilité, il reste encore largement abstrait. On peine à saisir comment il pourrait s’appliquer pragmatiquement à notre entreprise et à ses opérations. C’est parce qu’il manque une pièce de taille au puzzle : une référence culturelle.

Le code source

L’émergence du terme – et du mouvement agile – nous vient, sans surprise, du monde de l’informatique. Nous sommes en novembre 2001, dans les montagnes de l’Utah, et dix-sept experts en création de logiciel se réunissent. Ils sont aux avant-postes de l’explosion digitale qui, après 20 ans d’une lente incubation, irradie le monde entier.

Pour eux, les méthodes de développement précédentes, calquées sur l’ancien monde industriel, sont devenues obsolètes et certaines lourdeurs et rigidités du management et de l’organisation sont devenues contre-productives à leur activité : beaucoup trop de ressources sont utilisées pour faire fonctionner un système de command & control qui, loin d’optimiser leur production, les empêche au contraire d’atteindre la promesse faite au client : lui livrer, en temps et en heure, le meilleur produit possible.

Chacun a inventé, de son côté, des tactiques performantes de contournement – Extreme Programming, Crystal, SCRUM, Adaptive Software Development – auxquelles on se réfère comme étant les ‘Light methodologies’. En un week-end de partage et de réflexion, ces précurseurs parviennent à capturer l’essence de ces nouveaux modes de développement et d’organisation : ils les synthétisent en un ensemble de 4 valeurs qu’ils baptisent Manifeste… Agile. Voilà comment une bande de geeks en altitude a scellé le fabuleux destin de ce mot jusqu’alors réservé aux surfeurs et aux artistes de cirque.

Car Agile fera, dès lors, invariablement référence à ce document et aux diverses notions qui y sont évoquées. On est au-delà d’une mutation polysémique : le terme n’est plus utilisé sur la base de définition(s) précise(s) mais plutôt comme l’évocation d’un état d’esprit – comme on parle parfois de l’esprit d’une loi. Le mot est en quelque sorte devenu lui-même agile !

4 valeurs clés

Quand on entre dans le corps du Manifeste, on est d’abord frappé par sa concision; une unique page sur laquelle l’œil est immédiatement attiré par quatre courtes phrases, tout en haut… les fameuses valeurs agiles :

> Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils.
> Du logiciel qui fonctionne plus qu’une documentation exhaustive.
> La collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle.
> L’adaptation au changement plus que le suivi d’un plan.

Avant de s’immerger dans les valeurs elles-mêmes, on reste souvent intrigué, à la première lecture, par la forme qui leur a été donnée. Là où l’on s’attendait à de grands commandements, clairs et nets, on est confronté à ces drôles de propositions; chacune cherchant à mettre en tension deux extrémités d’un même axe, mais sans en dénigrer aucun. Les auteurs reconnaissent que chaque pôle a de la valeur mais ils affirment la prépondérance du premier pour mener des développements digitaux plus efficaces. On sent, dans le choix de la formulation, une volonté de faire du manifeste, une sorte d’outil heuristique de prise de décision que chacun sera libre de s’approprier en fonction de ses objectifs et de son contexte particulier. Il n’en reste pas moins qu’ainsi posées, ces valeurs symbolisent un basculement radical des priorités.

Car le message de fond est bien que le contrôle – sous toutes ses formes – devient secondaire en terme de valeur. C’est ce qui est décliné à travers les quatre valeurs :

> Communiquer à travers des processus et des outils nécessite un formatage des messages ainsi que le respect de leurs rythmes particuliers : structurons plutôt un contexte où les individus interagissent en direct de manière plus efficace.
> Documenter l’action de façon bureaucratique est généralement une perte de temps : réduisons cela au strict minimum nécessaire et choisissons plutôt l’avancée opérationnelle de notre produit comme repère.
> Impliquons l’utilisateur/client à chaque étape du développement – et pas seulement avant et après : c’est l’unique solution pour accompagner dynamiquement ses besoins réels.
> Procédons par itérations courtes plutôt que sur la base d’un plan : cela permettra de redéfinir régulièrement les priorités, de nous adapter aux variations du contexte – systématiquement turbulent – et de saisir des opportunités qui donneront à notre client un avantage concurrentiel de grande valeur.

De ces lignes se dégage un élément important à comprendre : le mouvement Agile n’est pas anti-méthodologique ou anarchique. Au contraire, il s’appuie généralement, sur davantage de méthode pour organiser, clarifier et prioriser des processus qui ne l’étaient pas. En modernisant la nature même de leurs fondations, il veut rendre les façons de faire compatibles avec l’ère digitale. Il vise à restaurer l’efficacité et la crédibilité. Il cherche fondamentalement à rétablir un équilibre.

Les 12 principes concrets

En marge du manifeste, les auteurs ont adjoint 12 principes destinés à incarner de façon plus concrète l’état d’esprit esquissé par les valeurs :

> Notre plus haute priorité est de satisfaire le client en livrant rapidement et régulièrement des fonctionnalités à grande valeur ajoutée.
> Accueillez positivement les changements de besoins, même tard dans le projet : les processus agiles exploitent le changement pour donner un avantage compétitif au client.
> Livrez fréquemment un logiciel opérationnel avec des cycles de quelques semaines à quelques mois et une préférence pour les plus courts.
> Les utilisateurs ou leurs représentants et les développeurs doivent travailler ensemble quotidiennement tout au long du projet.
> Réalisez les projets avec des personnes motivées. Fournissez-leur l’environnement et le soutien dont ils ont besoin et faites-leur confiance pour atteindre les objectifs fixés.
> La méthode la plus simple et la plus efficace pour transmettre de l’information à l’équipe de développement et à l’intérieur de celle-ci est le dialogue en face à face.
> Un logiciel opérationnel est la principale mesure d’avancement.
> Les processus Agiles encouragent un rythme de développement soutenable. Ensemble, les commanditaires, les développeurs et les utilisateurs devraient être capables de maintenir indéfiniment un rythme constant.
> Une attention continue à l’excellence technique et à une bonne conception renforce l’Agilité.
> La simplicité – c’est-à-dire l’art de minimiser la quantité de travail inutile – est essentielle.
> Les meilleures architectures, spécifications et conceptions émergent d’équipes auto-organisées.
> À intervalles réguliers, l’équipe réfléchit aux moyens de devenir plus efficace, puis règle et modifie son comportement en conséquence.

Ces principes dessinent bien une vision plus pratique de l’agilité. On réussit sans peine à imaginer ces équipes auto-organisées, libérées au maximum des lourdeurs administratives, fonctionnant en cycles courts et disposant de la capacité (pouvoir et outils) de faire évoluer librement leurs propres modalités de fonctionnement. On peut sentir la résonance de cette description, tant avec l’aspiration actuelle des entreprises à un nouveau type d’efficacité qu’avec le besoin d’autonomie des jeunes talents déboulant sur le marché du travail. On réalise aussi que ces principes, pensés à l’origine pour le développement logiciel – le monde soft – sont déjà à l’œuvre partout, y compris dans les domaines les plus classiques – souvent plus hard – dont la nature n’a fait que retarder le basculement digital. On comprend enfin que, face à l’importance de cette (r)évolution, chacun doit trouver sa façon propre de se transformer.

Afficher les principes agiles au mur ou pousser les managers dans des formations théoriques sur le sujet ne fonctionne pas; L’unique voie est de changer les comportements tout en modifiant les façons de travailler. Cela ne peut s’opérer que dans l’action : conjuguer harmonieusement méthode et postures.

S’agiliser

Les forces armées ont depuis longtemps compris ce qu’était un monde volatile, incertain, complexe et ambigu – VUCA dans leur jargon. Elles ont développé des stratégies agiles, efficaces et pragmatiques, qui vont souvent à l’encontre de leur mode de command & control habituel. Paradoxal lorsqu’il s’agit de sauver des vies ?

Dans les entreprises, ce besoin est souvent nouveau et difficile à appréhender. Il réclame que nous (ré)inventions bon nombre de nos modes de fonctionnement actuels : planification, rôles et postures du management, poids de l’administratif, type de profils à recruter, rapports aux collaborateurs ou aux partenaires… il s’agit d’évolutions majeures des postures et, parfois, rupturistes… une mise à jour du système qu’il faut réussir à installer sans crash.

De plus en plus d’approches sont proposées aux entreprises pour les aider à franchir ce cap. A titre d’exemple, le collectif iasagora a choisi de les accompagner dans l’action : agiliser quelques équipes autour de projets à fort potentiel et faire vivre, à un premier socle de collaborateurs, ces postures et modes de fonctionnement nouveaux… tout en créant de la valeur. Ces façons d’être, et de faire, deviennent ainsi une réalité tangible, efficace et évidente, amenant une adhésion essentielle à la réussite de ces changements. Un autre point crucial est d’assurer une approche systémique. Les leviers doivent agir sur les 4 niveaux des projets en même temps : ses participants, son mode opératoire, sa gouvernance et sa vision stratégique. Sans cela, pas de cohérence et des distorsions rendant la transition pratiquement insoutenable. Dernier élément et non des moindres : le timing. C’est quand tout va bien dans l’entreprise qu’il faut initier cette transformation, comprendre au bon moment que cette évolution n’est pas une option : plus tard, c’est trop tard.

L’esprit agile, dont les contours ont été dessinés en moins de 40 mots dans ce fameux Manifeste, et dont les outils sont aujourd’hui matures, est une des clés majeures pour rester performant dans le contexte extrêmement différent et exigeant de la transformation digitale. Le challenge principal est que nous devons évoluer sur le fond – sur notre vision et nos postures – pour réussir. Le pire étant, comme on le voit trop souvent, d’utiliser les nouvelles technologies avec les anciennes habitudes.

Il est urgent de saisir l’agilité, de la comprendre, de la voir, de la sentir.


merci à Clotilde, Delphine, Gilles et Stéphane pour la relecture – iasagora power !

Liens :
> site officiel du manifeste historique

 

Évidence improbable et génie créatif

Alphago est un programme informatique. Il s’est attaqué à un défi complexe et symbolique dans l’épopée du développement de l’intelligence artificielle : exceller au jeu de Go. Il a été écrit par la société DeepMind dont la raison-d’être affichée est de ‘résoudre l’intelligence’ et qui a été rachetée par Google en 2014 pour quelques 628 millions de dollars.

Le documentaire fascinant, du même nom, retrace un moment clé de cette aventure : après la victoire du programme face au champion français Fan Hui, la société organise un tournoi en cinq rencontres avec le grand maître coréen Lee Sedol. L’événement est extrêmement médiatisé et une tension palpable grandit au cours du film car beaucoup sont persuadés que, de par la nature même du jeu, une machine ne peut battre un humain… l’enjeu est de taille.

Go

Sans gâcher cet étrange suspens, nous pouvons nous attarder sur un passage particulier qui nous a marqué lors de la 4e manche; Alors que la partie est très serrée et qu’aucun des nombreux commentateurs (télés, internet…) ne voit ce que Lee Sedol pourrait jouer, ce dernier tente un coup qu’ils vont instantanément qualifier de magique par sa créativité : un coup de maître, un coup divin. Ce mouvement extraordinaire fait d’ailleurs s’effondrer la machine qui se met à jouer subitement de façon totalement incohérente – sans doute brutalement poussée par ce coup dans de sombres abysses logicielles encore inexplorées.

Mais nous avons été encore plus intrigués par la scène suivante durant laquelle l’équipe de DeepMind cherche à comprendre ce qui a bien pu se passer en analysant les données chiffrées du comportement de la machine. Ils s’aperçoivent que le coup joué par Lee Sedol avait une probabilité de 0,007%, c’est à dire une chance sur 15000 d’être joué par un humain.

Une improbabilité absolue qui, une fois dévoilée, devient une évidence…

Cela pourrait-il caractériser le génie créatif ? Quelque chose dans cette histoire nous a puissamment interpellé. Car, dans le cadre des méthodes et techniques d’innovation agiles et sensibles que nous développons chez iasagora, nous avons développé de multiples tactiques destinées à mettre le doigt sur ce type de pépites improbables.

Qu’il s’agisse de familles de techniques comme les connexions forcées (avec des mots clés, des images, des stimuli sensoriels… ), de prototypage rapide et frugal ou d’expérimentation créative auprès des clients, consommateurs ou utilisateurs avertis, nous avons associé de nombreuses approches pour accompagner efficacement nos clients vers leurs ‘zones improbables’.

Pousser le(s) concepteur(s) à accepter un autre regard, à voir la réalité autrement, travailler la posture, les modes d’organisation et la stratégie pour permettre, de manière agile, d’accepter de nouvelles voies et de laisser émerger ces évidences… C’est ce à quoi nous nous attelons avec passion chez iasagora.

Charles HannotteStéphane Ely, membres de iasagora, la communauté des experts en Innovation Agile et Sensible en Action (ias.a)

La créativité devient une matière universitaire

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Dans cet article récent du New-York Times – « Apprendre à penser différemment » – Laura Pappano est allée à la rencontre des grands spécialistes américains de la créativité, et en particulier de ceux qui l’enseignent. On voit fleurir, là-bas, de très nombreuses formations de tous niveaux : simple option lors d’études supérieures (en commerce ou en science par exemple), spécialisation pour certaines filières (comme la psychologie) ou sujet central pour le master spécialisé de l’Université de New York – bientôt agrémenté d’un Ph.D. C’est une évidence : la créativité s’apprend !

Si les matières classiques importent toujours, leurs contenus évoluent à la vitesse de la lumière et les enseignants, soucieux de transmettre des connaissances réellement utilisables, se tournent de plus en plus vers les talents liés aux processus, aux stratégies de recadrage et à l’extrapolation des informations. Autant de savoir-faires qui réclament une maîtrise technique de la créativité et permettent, en échange, de continuer à travailler dans le contexte ambigu actuel : le développement massif des TIC depuis les années 70 ayant abouti à une extrême complexification de notre rapport au monde.

L’esprit critique et rationnel a longtemps été considéré comme LE talent nécessaire et suffisant pour mener à bien ses affaires, personnelles et professionnelles. La réalité contemporaine semble désigner la créativité comme son partenaire indispensable. Bien enseignées, les méthodes et techniques nécessaires à son maniement se répandent. L’image du génie créatif usant de pouvoirs un peu magiques n’en a plus pour longtemps.

PS : la France n’est pas en reste avec des formations complètes et solides comme celles du CNAM-CréaFrance, d’Iris ou de l’Université Paris-Descartes.

Créativité : la ressource du futur pour IBM

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Plus de 60% des 1500 patrons et consultants d’IBM Global Business Services interviewés dans ce sondage interne identifient la créativité comme la compétence numéro 1 à développer dans leurs entreprises. Ils pensent que la transformation de l’industrie, facteur principal d’incertitude à tous niveaux, amène un besoin de découvrir en permanence des moyens innovants de manager l’organisation, les finances, l’humain et la stratégie de leurs activités. En clair : naviguer dans ce contexte de plus en plus volatile, incertain et complexe requiert de plus en plus d’imagination.

L’expert est-il ouvert d’esprit ?

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Si nos valeurs culturelles prescrivent, le plus souvent, l’ouverture d’esprit, cette faculté varie bien sûr en fonction des individus et des situations.

D’après cette étude récente du Journal of Experimental Social Psychology, une personne se percevant comme experte dans un domaine particulier, tend significativement à adopter un style cognitif plus fermé – dogmatique – sur les questions liées à ce sujet. Et les normes sociales semblent l’y autoriser !

Conserver un état d’esprit de débutant – comme nous y engage d’ailleurs certains principes bouddhistes – semble donc l’attitude la plus saine pour rester ouvert à de nouvelles idées et possibilités.